Yosl Birshtein, Une actrice

 

 

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Ma voisine de l’étage en dessous, Helena (de Lodz), a cessé d’entendre ce qu’on lui dit. Elle a perdu, en Pologne, son rôle dans la vie – être actrice au théâtre – elle est maintenant, tous les jours ici en Israël, une prima donna. Elle ne sort pas de son lit. La porte de chez elle est entr’ouverte, pour qu’elle puisse voir quand je sors et quand je rentre, et que je ne fais pas un saut dans sa chambre pour lui raconter ce qui m’arrive.

Quand je suis entré chez elle, cette fois, pour lui annoncer une nouvelle, elle a découvert les couvertures, entassé coussins et journaux sur son lit, et elle m’a montré du doigt les petits traits dessinés sur le mur à la craie noire ; pour que je compte moi-même et voie de mes yeux combien de fois je suis passé devant sa porte ouverte et n’ai même pas introduit à l’intérieur la moitié de ma tête. Elle n’a pas réussi à éveiller en moi un peu de sentiment de culpabilité ; mais il est bon que je me souvienne qu’il y a ici une main qui inscrit. Elle même se conduira autrement avec moi quand elle sera connue dans le monde. Elle remontera encore une fois sur la scène et conquerra le pays. La beauté de la langue polonaise n’est pas encore perdue.

Helena s’est soulevée et m’a demandé de lui tendre sa canne. Que je me cherche dans sa chambre un endroit où m’asseoir un instant, et l’entendre déclamer à nouveau un morceau de Pan Tadeusz.

Elle a trouvé ses pantoufles et a marché ici et là dans sa chambre. Je n’ai pas trouvé un tabouret et me suis assis sur son lit. Du lit on ne pouvait voir par la porte entre ouverte ce qui se fait au dehors. Le dehors se reflétait dans des contours blêmes dans le verre d’une image au mur : Helena dans sa jeunesse. Un ruban de soie autour du front. Une mélancolie dans les yeux. Quand elle remarquait, étant couchée dans son lit, mon reflet sur le jeune visage derrière le verre, elle savait que je passais et n’entrais pas chez elle.

Ce n’est pas ainsi qu’elle se conduira quand elle sera célèbre. Elle ne me regardera pas comme un étranger. En pensée elle m’a déjà offert un billet pour sa première représentation. Pour que je m’habille avec élégance, quand je viendrai à la première, que j’abandonne cette casquette idiote de khaluts qui ne convient pas à un écrivain en Israël.

 Helena s’est arrêtée près de moi et elle a déclamé en polonais : « Smutno mi bozhé ».

Elle s’est épanchée devant Dieu, disant qu’elle a le cœur triste, et cette fois je suis justement entré pour lui dire une bonne chose : son rêve s’est réalisé dans mon rêve à moi. J’ai rêvé qu’elle m’a invité à un concert. Je me suis habillé de beaux habits, en blanc et en noir, et je suis venu à la première. La salle était déjà obscure, et l’on m’a fait attendre près de la porte qu’il y ait pour moi une place assise. Cependant les rideaux se sont écartés, et tout le monde dans la salle a regardé la scène. Helena se tenait là dans une longue robe avec des manches larges, ses bras levés faisaient penser à des ailes noires. Elle a marché vers le bord de la scène, a descendu cinq marches, et a longé le passage entre les sièges, jusqu’à moi. Elle a regardé mon accoutrement et arrêté son regard sur mes chaussures, de lourdes chaussures de cuir grossier, du temps où j’étais berger de moutons, avec des traces de fumier et une odeur désagréable. Elle me parlait à moi, mais la salle entendait. Comment avais-je pu entrer ainsi fagoté ?

 

« Avec des chaussures merdeuses, a-t-elle dit, dans le temple sacré de mon art ! »

 

 

Y. Birshtein, dayne geslekh yerusholaym, p. 104