Epidémie, 1.

 

 

 

« Il se tint entre les morts et les vivants, l’épidémie s'arrêta [1] »

 

Dans la ville de Vulshtsova sévissait une épidémie, que Dieu nous en préserve !  Quelques bourgeois de la ville s'en allèrent à Radomsk chez le saint rabbin auteur du tif'eret shlema, « la beauté parfaite », qui était né dans la ville de Vulshtsova ; il le prièrent d'y venir avec eux, s'il le voulait bien, pour bénir la ville, et que Dieu écarte d'elle la maladie.

Le Rebbé entendit la prière des bourgeois et partit avec eux. Quand il arriva à la ville, vinrent à sa rencontre, en dansant et tambourinant, tous les habitants, hommes, femmes et enfants, tous en habits de shabbat et avec des flambeaux dans les mains ; parmi eux il y avait les sages de la ville, le rabbin du lieu en tête. Quand le Rebbé vit cet accueil, il dit à ses proches : « Comme le Saint Juif de Pshiskhé, par l'Esprit saint, avait bien vu l'avenir ! Je me rappelle le jour où le Saint Juif vint à Vulshtsova : j'étais alors un garçonnet, tous les habitants de la ville étaient sortis à sa rencontre pour lui faire honneur ; mon père, R. Hirshélé, (que son souvenir soit béni), présidait la communauté ; étant l'un des notables de la ville il fit route avec le Juif dans sa voiture, avec moi sur ses genoux ; quand le Juif me vit, il me pinça la joue et me dit : « En ce lieu on te fera, à toi, plus d'honneur encore ! » Aujourd'hui, quand j'ai vu venir les klezmer avec les flambeaux, je me suis souvenu de tout cela ».

Le lendemain le Rebbé donna ordre à tous les habitants de s'en aller avec lui faire rituellement le tour du cimetière. La chose faite, le Rebbé prit la parole et parla ainsi : « Il est écrit dans la chronique du grand prêtre Aaron : « il se tint entre les morts et les vivants, et l'épidémie s'arrêta ». La justice exigeait qu'il n'y eût que les vivants et pas les morts, car les morts, quelle  est leur utilité pour le Tout Puissant ? Et même si ce sont des Justes et qu'ils siègent dans le Jardin d'Eden, quel avantage pour le Créateur (béni soit-il) qu'ils siègent et se chauffent le dos au Jardin d'Eden ? Mais des êtres humains bien vivants rendent grâce et prient, ils Le louent et Le bénissent ; également ils boivent en disant « à la vie ! » ; et Rachi commentant la parasha Juges, à propos du verset « les bras et les joues et l'estomac », a écrit : « la vie[2] - à la place de la prière, car il est dit : « Pinkhas se tint debout et pria [3]» ; voilà ce que dit l'Écriture : « il se tint debout », et il n'y a d'autre station debout ici que la prière debout, la amida, il pria le Créateur qu'Il montrât la différence entre les morts et les vivants, et par la force de cette prière il obtint ce qu'il demandait : « l'épidémie s'arrêta ». Et donc, termina le Rebbé, vous aussi, hâtez-vous d'apporter ici de la vodka, et buvons à la vie ! »

Aussitôt ils apportèrent  de la vodka et des douceurs, et tous burent « à la vie » à  l'ombre du cimetière, ils se souhaitèrent l'un à l'autre « à la vie, à la vie ! », « lekhayim, lekhayim ! », de façon si bruyante que la terre s'ouvrit, et ils rentrèrent chez eux la joie au cœur.

Et de ce jour l'épidémie s'arrêta, et l'on n'entendit plus personne gémir dans la ville de Vulshtsova.

 

Sh. Y. Zevin, Sipuré hassidim, § 355, p. 364.

 



[1]         Nombres, XVII, 13.

[2]          Le rabbin lit « lekhiyim », les joues, comme s'il était écrit « lekhayim », à la vie.

[3]         Psaumes, 106, 30.